Sur la pseudo-théorie gauchiste du «retour de bâton»

Submitted by cathy n on 22 January, 2016 - 11:42 Author: Daniel Randall  

(extraits d’un débat sur le site de l’Alliance for Workers Liberty, le 12 juin 2013)

(...) Les impérialismes britannique, américains, et d’autres impérialismes occidentaux ont-ils contribué à alimenter la croissance de l’extrême droite islamiste, à la fois directement en soutenant, de manière sélective, certains éléments contre des impérialismes rivaux (par exemple, en armant les proto-talibans contre la colonisation stalinienne de l’Afghanistan), et indirectement en créant des conditions sociales telles, dans de nombreux pays «musulmans», que l’influence des islamistes a pu croître?

Oui, bien sûr.

Personne ne nie que les politiques des gouvernements impérialistes occidentaux soient un élément clé du contexte pour comprendre l’islam politique.

Mais elles ne sont pas le seul facteur d’explication, et nous ne pouvons pas interpréter l’islamisme comme un simple «retour de bâton» dû aux invasions de l’Irak et de l’Afghanistan, pas plus que nous pourrions affirmer que le nazisme serait uniquement le «contrecoup» de l’injustice infligée à l’Allemagne par le Traité de Versailles en 1918.

Dans la foulée des attentats du 7 juillet 2005 (1) , Michael Rosen a écrit trois poèmes dans Socialist Worker (2). L’un d’eux commençait par cette phrase : «Si vous allez dans d’autres pays / et que vous les bombardez / ils vous bombarderont.»

Mais les auteurs des attentats meurtriers du 7 juillet 2005 ne venaient pas d’Irak, d’Afghanistan ou de tout autre pays bombardé par la Grande-Bretagne. Deux venaient de Leeds, l’un de Bradford, et le dernier était un Londonien d’origine jamaïcaine (3) . Ils ne sont pas de simples robots réactifs, sans pensées ni idées propres. Pas plus que Michael Adebelajo et Michael Adebowale (4).

Les exposants de la théorie du «retour de bâton» se présentent comme des lanceurs d’alerte, qui disent la vérité au pouvoir en brisant les tabous et en proclamant que les politiques impérialistes (et non l’idéologie islamiste des poseurs de bombes du 7 juillet 2005, ou Michael Adebelajo, ou al-Qaïda, ou quelqu’un d’autre) seraient responsables des atrocités terroristes.

Mais cette logique interprétative trahit une condescendance très eurocentriste envers les musulmans. Elle les déshumanise et les réduit à un Autre absolu, en les présentant comme des créatures irréfléchies qui n’auraient aucune pensée propre mais réagiraient seulement (et de la manière la plus brutale) contre les crimes commis contre «eux».

Cette explication n’est que le reflet inversé et pervers du discours islamophobe, du type «tous-les-musulmans-sont-des-terroristes» que colporte la presse de droite. La «théorie du retour de bâton» fait partie des conceptions politiques post-staliniennes propagées par des individus nihilistes et désespérés influencés par le post-modernisme. Pour eux, l’impérialisme occidental est tout-puissant, et tout ce qui se passe dans le monde ne peut être compris que comme une réaction contre ses crimes. Leur politique n’est pas fondée sur un programme positif, universel, démocratique-révolutionnaire, et favorable aux intérêts de la classe ouvrière ; elle repose seulement sur un «anti-impérialisme» négatif.

L’AWL rejette un tel désespoir. Nous avons une bien plus haute opinion de l’humanité, et une bien plus grande foi en elle que ces gens-là. Nous pensons que les femmes et les hommes sont capables de comprendre le monde, de le critiquer et de s’approprier consciemment des idées complexes. Et, contrairement aux «anti-impérialistes» eurocentriques de gauche du quotidien The Guardian, nous ne pensons pas que les musulmans sont uniquement capables de réagir contre des crimes commis contre eux, ou contre les gens avec lesquels ils partagent des affinités ethniques, religieuses ou nationales, en tenant des discours obscurantistes ou en employant des méthodes brutales.
(...) Si l’on croit que l’islamisme incarne une sorte de réaction réflexe dans des pays où il n’existe aucune solution alternative socialiste, on est forcément conduit à penser que les musulmans sont en quelque sorte «inévitablement» poussés à réagir de cette façon.

(...) Soutenir des explications fondées sur des raisonnements de type «cause à effet» et «retour de bâton», c’est sombrer dans une vision du monde qui élimine effectivement toute possibilité pour le socialisme. C’est considérer que nous vivrions dans un monde où, à la barbarie impérialiste, succéderait la contre-barbarie, et ce dans un cycle sans fin.

* Daniel Randall

(1) Ces attentats-suicides dans quatre endroits différents de Londres (trois stations de métro et un bus) firent 56 morts et 700 blessés (NdT).

(2) Socialist Worker est l’organe du Socialist Workers Party, une des premières organisations d’extrême gauche à avoir prôné l’unité d’action avec les islamistes (NdT).

(3) Il s’agit des auteurs des attentats qui sont morts en se faisant exploser : Mohammad Sidique Khan, Shehzad Tanweer, Germaine Lindsay et Hassib Mir Hussain (NdT).

(4) Ils avaient renversé avec leur voiture le soldat Lee Rigby le 22 mai 2014 puis l’avaient lardé de coups de couteau et tenté de le décapiter avec un hachoir (NdT).

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